Chronique #4 (2001-2005)

Le CRID en 2001-2005 – "Nach dem Spiel ist vor dem Spiel"[1]

Par Robert Queck

 

Le colloque célébrant le 20e anniversaire du CRID en novembre 1999 et, surtout, la fête qui le concluait, avaient été mémorables. La période 2001-2005 le fut tout autant[2]. En 2005, les quelques trente chercheurs abordaient cinq principaux axes de recherche, regroupés en autant de « cellules » : « commerce électronique », « libertés dans la société de l’information »,« propriété intellectuelle », « communications électroniques » ainsi que « convergence droit et TIC » (cellule interdisciplinaire par essence qui traitait par exemple des questions en lien avec la sécurité informatique, le spyware, les privacy enhancing technologies, la preuve électronique…). Assistés d’une équipe administrative de quatre personnes, ces chercheurs menaient de front quelques vingt-trois projets de recherche. En 2001-2002 étaient réalisés quelques quatre-vingts publications, dont quatre cahiers du CRID. A l’époque, le centre se caractérisait par un nombre de chercheurs suffisamment élevé pour couvrir largement la plupart des domaines (juridiques) de recherches liés aux technologies de l’information et pour pouvoir réagir rapidement à des demandes. Toutefois, le statut précaire d’un grand nombre de chercheurs était considéré comme un des grands défis auxquels devait faire face le CRID. Heureusement, l’ambiance générale n’en souffrait pas. Par ailleurs, il ne va pas sans dire qu'un certain café namurois a pu profiter de notre présence quelque peu systématique les vendredi soirs. Ceci dit, quand on regarde la liste des membres en 2005 et quand on voit leurs positions actuelles (monde académique, secteur privé et institutions publiques – belges et européens- confondus), on constate une certaine fidélité à la (réglementation de la) société de l’information.

Comme Etienne Montero l’écrivait dans la chronique #3, en 1995, Internet explosait en Europe. Au début des années 2000, l’Europe se dotait d’un cadre réglementaire pour la société de l’Information. On constate d’ailleurs que la directive sur le commerce électronique, du 8 juin 2000, est toujours en vigueur. A brève échéance, elle devrait être adaptée aux évolutions technologiques et économiques par la proposition de règlement européen relatif à un marché intérieur des services numériques (projet « DSA »).

Face (ou en complément) aux contenus : la transmission. Un cadre réglementaire européen des communications électroniques, composé principalement de 6 directives, fut adopté en 2002.  Il remplaçait les directives prises durant les années ’90. C’est seulement en 2018 que la plupart de ces directives ont été remplacées par un Code des communications électroniques.

Le CRID a contribué à la transposition de ces textes européens en droit belge (au niveau fédéral et communautaire (Communauté germanophone)). Il convient en effet de noter qu’en matière de radiodiffusion / télévision, les Communautés étaient, au titre des matières culturelles, compétentes pour la réglementation des contenus (c’est-à-dire les programmes). Afin de leur garantir la possibilité de mettre en œuvre cette compétence libre d’influence fédérale, la Cour d’arbitrage (désormais, la Cour constitutionnelle) avait considéré en 1990 que les Communautés étaient aussi compétentes pour réglementer les aspects techniques de la radiodiffusion et donc la transmission de ces contenus (C.a., 7/1990, 2.B.3 et 1/1990, B.5). Dans ce contexte, la Cour constatait, le 14 juillet 2004, que suite à l’évolution technologique (et notamment la digitalisation), les réseaux de communication électronique étaient devenus polyvalents et que des signaux de radiodiffusion (de compétence communautaire) pouvaient être transmis dorénavant sur les mêmes réseaux que les signaux téléphoniques, les communications entre ordinateurs, … (de compétence fédérale). Elle en concluait que « les compétences de l’État fédéral et des communautés en matière d’infrastructure des communications électroniques [étaient] devenues à ce point imbriquées, […] qu’elles ne [pouvaient] plus être exercées qu’en coopération » (C.a., 132/2004, B.6.2). Si l’État fédéral ou une Communauté réglementaient ces questions unilatéralement, il y aurait violation du principe de proportionnalité propre à tout exercice de compétences. En conséquence de quoi, le Conseil d’État, dans son avis N° 37.660/3 du 8 septembre 2004 sur l’avant-projet de décret de la Communauté germanophone sur la radiodiffusion et les représentations cinématographiques qui visait notamment à transposer les directives européennes de 2002 sur les communications électroniques conclut à une incompétence partielle de la Communauté germanophone vu qu’elle n’avait pas élaboré certaines dispositions de son avant-projet en coopérant avec l’État fédéral. Le Conseil d’État ne précisait cependant pas les modalités de cette coopération. En réaction, le gouvernement de la Communauté germanophone s’est tourné en fin de compte vers le Comité de concertation (Doc., Parl. D.G., 2004-2005, Nr. 35/1, p. 2-5), ce qui a conduit à la conclusion de l’accord de coopération du 17 novembre 2006 et à la création de la Conférence des Régulateurs du secteur des Communications électroniques (CRC), qui regroupe les régulateurs de l’État fédéral et des communautés. En pleine discussion sur la création de « coordinateurs pour les services numériques » nationaux dans le cadre du projet DSA et à la veille de la 7e réforme de l’État, on verra quelles tâches l’avenir réservera à cette CRC au-delà de la coordination de la régulation des communications électroniques.

Au début des années 2000, le CRID s’est donné une « Charte de la recherche sous contrat au sein du CRID ». Elle met en avant, notamment, les principes d’indépendance scientifique et de liberté d’expression. La charte fut bien accueillie par de potentiels commanditaires. C’est d’ailleurs cette qualité d’indépendance (« on écrit ce qu’on pense ») et du regard non biaisé qui nous a permis de réaliser en 2004-2005 une large étude sur la réglementation du pouvoir de marché en matière de télécommunications. Cette thématique du pouvoir de marché et de contrôle revient d’ailleurs aujourd’hui à l’ordre du jour avec le projet de règlement européen (DMA) relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (DMA).

En conclusion : une note préparatoire du « rapport de recherche 2003-2008 » (p. 12) constatait, parmi les atouts du CRID, le rapprochement avec des centres de sciences humaines namurois à savoir la Cellule Interfacultaire de Technology Assessment – CITA et le Groupe de Recherche Interdisciplinaire en Communication & Internet – GRICI. Quelques années allaient encore être nécessaire pour institutionaliser cette collaboration, mais ceci est une … affaire à suivre.

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[1] « Après le match est avant le match » [nous traduisons]. Cette exclamation de Sepp Herberger, entraîneur de l'équipe nationale allemande de football championne du monde en 1954, est devenue depuis lors un dicton populaire. Il va de soi que comme chercheur issu de la Communauté germanophone, je suis particulièrement sensible à ce genre de proverbes.
[2] Sources : CRID, Rapport d'activités du CRID – Période 2002-2005, mars 2006, 86 p. Plusieurs documents internes que j'ai encore trouvé sur mon disque dur ont également été consultés, à savoir CRID, Rapport d’activités 1998-2002, version du 04.04.2003, 92 p. ; CRID, Fiche descriptive du laboratoire / de l’équipe, version du 2501.2005, 2 p. ; CRID, Rapport de recherche 2003-2008, version du 26.08.2009, 12 p.