Chronique #2 (1991-1995)

par Cécile de Terwangne

 

Après une dizaine d’années d’existence, le CRID prend son essor et son équipe de chercheurs et doctorants ne cesse de s’étoffer. L’expertise du centre reconnue au-delà des frontières lui vaut de lui voir confier une série de contrats de recherche, que ce soit pour éclairer des acteurs publics ou privés, allant de la Région wallonne aux autorités fédérales belges, à la Commission européenne ou au Conseil de l’Europe. Le contrat de recherche LEGASSIST confié au CRID à cette époque illustre ce rôle d’appui scientifique, fourni en l’occurrence à la Commission européenne en matière de marché de l’information. Le CRID a apporté à la Commission une assistance juridique transversale sur des questions aussi variées que celles de l’accès à l’information, de la synergie secteur public-secteur privé et de la protection de la vie privée.

La période était d’ailleurs propice aux avancées en matière de protection de la vie privée et plus spécifiquement de protection des données personnelles. Ainsi, l’équipe de la « cellule Vie privée » de l’époque a œuvré à l’écriture de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel, avant d’épauler la Commission européenne pour les prémices de ce qui deviendra la directive 95/46 sur la protection des données. C’étaient les débuts d’une législation née sans remous, pour ne pas dire dans l’indifférence générale, alors que vingt ans plus tard, l’adoption de la version modernisée de ces textes, sous la forme du RGPD, suscitera une mobilisation transatlantique sans égal et aura un impact planétaire !

C’est que dans l’intervalle apparaitra ce qui bouleversera le monde de la communication, des échanges, de la science, des services, de l’éducation, de l’économie et bientôt le monde tout cours : Internet.

Mais au début des années nonante, la réalité des chercheurs du CRID est loin de cette utopie de l’information au bout des doigts sur le clavier et d’un écran ouvert sur le monde. L’équipe doit se partager deux ordinateurs situés dans le bureau des secrétaires. On fait la file pour venir taper ses papiers et le couloir où l’on patiente finit par se révéler un haut lieu d’échanges scientifiques et d’enrichissement intellectuel... On sourit alors des chercheurs du début du CRID qui nous parlent de « floppy discs ». On travaille dans la modernité, on collectionne les disquettes ! Le premier académique ou chercheur qui part en conférence à l’étranger se voit remettre une liste de la documentation qu’il est instamment prié de ramener aux collègues profitant de ce transporteur opportun pour mettre la main sur ce qu’il est impossible de trouver sous le ciel namurois. On en a vu devant s’acquitter d’une belle taxe de surpoids de bagages à l’aéroport, les valises alourdies des kilos de photocopies ramenées en Belgique... C’est à peine imaginable aujourd’hui où le contenu des bibliothèques des autres continents est accessible depuis un smartphone et où les plateformes de diffusion des écrits scientifiques mettent à portée de clic les articles publiés aux antipodes. Quant aux disquettes de tous ces chercheurs des jeunes années du CRID, elles sont depuis longtemps devenues illisibles et ont été remplacées par les CD-Rom puis par les clés USB.

La rapidité des basculements apparus dans la carrière des chercheurs était finalement le juste reflet des transformations majeure que la société dans son ensemble allait connaitre dans les quatre décennies. Le CRID était idéalement placé pour accompagner ces transformations sur les plans juridique, philosophique, économique et sociétal. Mais assez vite, il est apparu que la connaissance issue de la recherche qui s’amassait derrière les murs de la faculté devait être partagée le plus largement par le biais de l’enseignement. Yves Poullet lança alors l’initiative de la mise sur pied du diplôme d’études spécialisées en Droit et gestion des technologies de l’information et de la communication. Cette formation universitaire unique en Belgique francophone, issue véritablement d’un dialogue entre recherche de haut niveau et enseignement de pointe, est aujourd’hui devenue le master de spécialisation en droit d’Internet (le DTIC) dont le succès ne se dément pas.